ÉDUCATION BILINGUE, SCOLARITÉ EN LANGUE DES SIGNES
POURQUOI, COMMENT

Patrice DALLE
ANPES (Association Nationale de Parents d'Enfants Sourds)

(Lyon, 16 mai 1998)

  1. Éducation bilingue
    1. Définitions : 2 langues
    2. Conditions pour mettre en œuvre une éducation bilingue
    3. Bilan : L'apport de la LS
  2. Scolarité en langue des signes
    1. Remarque sur la terminologie
    2. Principes et organisation
    3. Bilan
    4. Mise en œuvre
    5. Les obstacles

    Annexe


I- Éducation bilingue

1. Définitions : 2 langues

L'éducation bilingue est basée sur 2 langues ayant des statuts, des rôles et des modes d'acquisition différents, qu'il faut préciser.

a- LSF

La langue des signes (LS) est la langue première, naturelle de l'enfant sourd. Rappelons que ce sont les parents qui font entrer un enfant dans le langage, et c'est vrai pour la LS, même si les parents sont entendants (1). Ce sont les parents qui feront que la LS sera la 1ère langue de leur enfant et c'est avec le concours de personnes sourdes (professionnels de l' éducation précoce) que l'acquisition de la LS se fera au bon rythme et avec une bonne maîtrise.

C'est la seule langue qui peut être acquise naturellement, inconsciemment. C'est la langue du plaisir, des échanges, du dialogue, de la relation. Langue par laquelle l'enfant va structurer sa pensée, organiser sa vision, sa compréhension du monde, et qui contribuera fortement à la construction de son identité de Sourd.

b- Français

C'est la langue de la communauté nationale majoritaire.

Elle joue donc un rôle essentiel dans la socialisation. Elle est indispensable pour l'acquisition des connaissances et de la culture générale, pour l'expression (écrite), pour la communication à distance et pour la mémorisation. Elle est apprise par l'enfant dans le cadre d'un enseignement.

Il ne faut pas confondre la maîtrise d'une langue (ses structures linguistiques) et sa pratique suivant différentes modalités. Dans le cas du français, la modalité orale n'est pas adaptée aux sourds, que ce soit en réception (lecture labiale) ou en émission.

On peut se poser 2 questions :

- Un enfant sourd peut-il atteindre le même niveau en LS et en français ?
- Un enfant sourd peut-il atteindre le même niveau de français qu'un enfant entendant ? Si non, est-il normal de lui faire passer les examens dans les mêmes conditions que les élèves entendants, c'est-à-dire avec toutes les épreuves en français ?

En résumé, dans l'éducation bilingue, c'est l'enfant qui doit devenir bilingue et biculturel. Ca ne veut pas dire que la communication dans la famille, dans l'éducation et dans la scolarité doive se faire dans les deux langues. En effet une langue (LS) est acquise naturellement, donc dès les premières interactions, contribue à la structuration de l'enfant et sert de langue de communication. L'autre langue (français) est apprise, donc plus formellement et à un rythme forcément plus lent.

- Remarque : éducation et scolarité

L'éducation ne doit pas être réduite à la seule question de la scolarité.

Cependant l'imbrication éducation-scolarité est plus forte pour les enfants sourds que pour les enfants entendants, surtout si l'enfant sourd a des parents entendants. En effet, davantage que pour l'enfant entendant, une partie des interactions qui contribuent à la construction de l'enfant et qui d'habitude se passent dans la famille vont se passer à l'école. Il y a un partenariat plus fort famille-école, une redistribution , non pas des statuts (parents-enseignants), mais de leur rôle dans certains domaines, tels que la construction de l'identité ou l'élaboration du langage.

L'éducation d'un enfant sourd ne se réduit donc pas à la scolarité, mais on ne peut pas dire qu'on a mis en place une éducation bilingue s'il manque la composante scolaire. Donc une présentation ou un bilan en matière d'éducation bilingue ne peut être fait sérieusement que là où un service scolaire cohérent, en langue des signes, a pu être créé et a pu fonctionner dans des conditions correctes.

 

- Remarque : parents sourds- parents entendants

Dans la suite, on examinera le plus souvent la situation des parents entendants; c'est la situation la plus fréquente et celle où la démarche vers la LS est la moins naturelle et la moins facile à mettre en application. Certains problèmes particulièrement importants, notamment ceux liés à la découverte de la surdité et à l'acquisition de la LSF, sont plus spécifiques aux parents entendants.

Il faut noter cependant que, parmi les familles ayant choisi l'éducation bilingue, il y a une forte proportion de parents sourds, plus facilement convaincus. Mais il ne faudrait pas croire que, pour ces familles sourdes, le choix d'éducation bilingue s'impose de manière évidente ni surtout que sa mise en œuvre ne présente pas de difficultés.

On essaiera de signaler, chaque fois qu'elles se rencontreront, les particularités concernant les parents sourds.

2. Conditions pour mettre en œuvre une éducation bilingue

2.1. Information initiale précoce

Les parents reçoivent souvent une mauvaise information initiale, source de problèmes, qui empêche ou retarde le processus de compréhension et d'acceptation de la surdité de leur enfant (2). Au lieu de présenter la surdité sous un aspect négatif, en parlant de manque, de déficience et d'handicap, il faudrait au contraire faire prendre conscience aux parents que :

- leur enfant est certes très différent d'un enfant entendant, car la surdité concerne un élément essentiel chez l'homme, la langue,

- mais qu'il reste avant tout un enfant, "pleinement entendant , et surtout entendant à ce qui est fondamental, à savoir le désir de ses père et mère" (3) . Il a donc les mêmes désirs, les mêmes besoins et les mêmes potentialités que tout enfant. Il reste formidablement doué pour faire la chose la plus complexe que nous faisons dans toute notre vie : acquérir une langue.

- que tout ce qu'on dit sur le développement des enfants reste vrai, notamment les étapes de ce développement, les rythmes d'acquisition et les conditions d'un bon développement. C'est vrai, en particulier, pour l'acquisition d'une langue &emdash;la fonction, les structures et les compétences langagières&emdash; qui se fait à partir des interactions avec les proches, le plus souvent avec la mère, dès la naissance.

Cette information doit faire prendre conscience aux parents que " la LS est la seule langue que l'enfant peut appréhender totalement et qui lui permet d'accéder à toute les dimensions de la parole " (4).

Elle doit donc insister sur la nécessité de mettre en place une stratégie particulière pour l'acquisition du langage.

Question aux parents ?

Est-ce ce type d'information que vous avez reçue au moment du diagnostic de la surdité de votre enfant ?
Que se passe-t-il avec les jeunes parents actuels ?

 

2.2 Élaboration des options éducatives : environnement

Après avoir reçu cette information, les parents doivent pouvoir :

- l'intégrer, la comprendre, comprendre les implications de la surdité,
- la traduire en options éducatives.

Pour cela, les parents doivent :

- rencontrer
- des sourds, d'autres parents plus âgés,
- des éducateurs (sourds),
- éventuellement un psychologue, pour gérer la surcharge affective, l'angoisse.

- voir des situations éducatives avec d'autres jeunes enfants sourds,

- expérimenter eux-mêmes ce type d'éducation : par exemple en apprenant, avec des intervenants sourds, la communication gestuelle de base avec un très jeune enfant, ou en voyant comment leur enfant se comporte avec des adultes sourds ou avec d'autres enfants sourds.

Ce n'est que progressivement que les parents construisent leur option éducative.

2.3. Possibilité de mettre en pratique les choix éducatifs

Pour pouvoir mettre en pratique leur choix éducatif, les parents et leur enfant doivent bénéficier d'un ensemble de services qui sont aussi importants que l'existence d'une classe en LS.

Pour les parents, ces services concernent essentiellement la LS.
Ils doivent pouvoir :

- Apprendre la LS.

Cet enseignement doit respecter plusieurs critères concernant :

- Pratiquer la LS

Cela suppose que les 2 parents et les autres enfants puissent apprendre la LS et qu'il existe des lieux, en dehors des cours, où se pratique la LS (foyer, rencontres de parents, stages LS-détente,…)

Pour les enfants

- Éducation précoce

Un service d'éducation précoce en famille, par des éducateurs sourds, pour faciliter le démarrage de la communication dans la famille et permettre à l'enfant de commencer à construire son identité et d'acquérir une langue sur de bonnes bases.

- Lieux de vie.

En dehors de la famille, l'enfant doit vivre d'autres situations de pratique de sa langue, avec d'autres interlocuteurs : regroupement de petits enfants sourds, crèche, centres de loisirs, …

 

Remarque pour les parents sourds : les mêmes exigences existent, au sujet du français. Du fait des conditions de leur propre éducation et de leur scolarité, beaucoup de parents sourds ont une maîtrise insuffisante du français, n'ont pas accès à la lecture-plaisir. D'autre part ils peuvent avoir des besoins de formation pour améliorer leur compétence éducative.

En résumé, pour prétendre pratiquer une éducation bilingue, les parents doivent eux-mêmes être bilingues, même si, bien sûr, leur compétence ne sera jamais la même dans les deux langues.

2.4. Scolarité cohérente avec les choix éducatifs

Enfin, dès que l'enfant a l'âge d'aller à l'école (3 ans), il doit pouvoir bénéficier d'une scolarité cohérente avec le choix d'éducation. Cela veut dire encore :

3. Bilan : L'apport de la LS

On a résumé ci-dessous les principaux apports de l'éducation bilingue, à partir d'observations et de témoignages de parents qui ont pu la pratiquer dans des conditions à peu près correctes.

3.1. Acceptation

L'utilisation de la LS par les parents, même s'ils la maîtrisent encore mal est immédiatement bénéfique dans la relation parent-enfant. Elle entraîne un changement de regard, d'attitude, de perception de son enfant.

Avant l'utilisation de la LS, on voyait des difficultés, des manques, un retard de plus en plus grand s'installer et donc un handicap.

Grâce à la LS, on voit des progrès, un éveil, une relation de plus en plus riche, un enfant doué pour communiquer. On devient curieux de cet enfant et un peu fasciné par ce mode de communication.

Construction - Développement du langage

Les parents pensent souvent aux difficultés qu'ils vont rencontrer à cause de leur faible niveau de LS. Or ce qui est le plus important, c'est que l'enfant, lui, n'ait pas d'obstacle. Après tout, c'est lui qui se construit.

On doit donc favoriser tout ce qui va lui permettre de :

- développer une fonction langage, c'est-à-dire l'établissement de correspondances entre pensées et émissions. Ce sont les réactions de la mère à ces émissions et les retours en termes de communication qui vont permettre d'établir cette fonction. Il est donc indispensable que la mère conserve cette attitude d'échange qui se bloque parfois à l'annonce de la surdité et qu'elle soit donc convaincue que les capacités de communication de son enfant sont intactes.

- développer ses compétences grammaticales, adaptées à la modalité visuelle.
L'acquisition de la LS suppose que l'enfant acquière une capacité à analyser le mouvement et le spatial en données linguistiques (il ne faut pas confondre cette activité de construction avec la perception visuelle). Il doit donc être en contact très tôt et souvent avec des personnes qui s'adressent à lui en signant (même imparfaitement en ce qui concerne la richesse lexicale, mais en respectant la structure spatiale de la LS). Il doit avoir lui-même souvent l'occasion de s'exprimer en signant.

- structurer son langage, l'enrichir, acquérir une compétence langagière.
Il doit transposer cette activité langagière dans une langue codifiée, contraignante, précise. Le rôle des sourds intervenant directement auprès de l'enfant est alors irremplaçable.

Ces trois fonctions sont indispensables pour l'acquisition du langage. Elles doivent se développer en synchronisation avec les développements qui s'opèrent chez l'enfant dès sa naissance dans différents domaines : sensori-moteur, communicationnel, cognitif, construction de la personnalité. Seule l' utilisation de la LS permet de respecter cette synchronisation.

Relation - Communication

On établit des situations de dialogue, c'est-à-dire avec un retour ; on sait si on a été compris; si on ne comprend pas, on peut le dire. Les échanges sont de vrais échanges : ils se déroulent à la vitesse normale, sans décalage de situation. La langue devient inconsciente, en tout cas pour l'enfant.

La LS est tout de suite utile pour tout ce qui est abstrait , pour parler :

Dans beaucoup de familles où la communication est difficile, les échanges ont tendance à surexploiter le mode affectif qui devient le seul mode de communication. L'utilisation de la LS va rétablir une vraie relation, équilibrée où on va retrouver toutes les composantes : échanges informels, information structurée, humour, plaisir, …

Éducation

Les parents retrouvent leur rôle de parents. Ils peuvent expliquer (culture générale), discuter, stimuler, argumenter : ils peuvent interdire (car ils peuvent justifier et aussi expliquer ce qui se passera s'ils ne sont pas obéis) et pas seulement empêcher.

Conclusion

La démarche vers une éducation bilingue de l'enfant sourd suppose qu'un ensemble de conditions soient réunies, concernant l'information initiale, la construction progressive des choix éducatifs puis leur mise en œuvre, la scolarité en LS.

Le bilan de 13 années de pratique montre que les enfants bilingues sont épanouis, "bien dans leur peau". Ils ne vivent pas la surdité comme un handicap. Ils comprennent le monde dans lequel ils sont et le fonctionnement de la société. Ils y sont bien intégrés et autonomes. Ils ont une opinion, des choses à dire et un moyen pour les dire.


pause


II. Scolarité en langue des signes

1. Remarque sur la terminologie

On utilise volontairement le terme de scolarité en LS et non de scolarité bilingue afin d'éviter les confusions : ce n'est pas la scolarité qui est bilingue (ce qui voudrait dire qu'une partie de la communication se ferait en français et donc en français oral), c'est l'enfant qui doit devenir bilingue, en maîtrisant bien les 2 langues, LS et français, dans les modalités qui lui sont accessibles. Dans toute la scolarité, la langue de communication est la LS.

2. Principes et organisation

On vise à la fois la réussite scolaire et l'intégration sociale et donc :

 

2.1. Objectifs

Ce sont d'abord ceux qu'on attend de tout système scolaire : l'acquisition de connaissances et le développement de compétences ( savoir utiliser les connaissances, savoir apprendre, …) et la socialisation. En fait, grâce au rétablissement d'une communication normale par la LS, on retrouve exactement le fonctionnement d'une classe ordinaire.

Dans les premiers niveaux (maternelle, primaire), il s'y ajoute, de façon beaucoup plus marquée que pour les enfants entendants, la construction de l'identité, le développement du langage et l'apprentissage de l'intégration.

2.2. Le double rôle des enseignants sourds

2.2.1 Sourds

- Pour que l'enfant acquière une langue riche, à l'âge normal d'acquisition, dans des conditions naturelles, c'est-à-dire inconsciemment, il faut lui assurer un bain de langage correct.
- Pour qu'il puisse construire son identité de sourd, il lui faut des référents sourds.
- Pour qu'il soit intégré dans la société, il faut que quelqu'un qui comprend ses difficultés lui en explique le fonctionnement et lui en fasse admettre les contraintes.

Seule une personne sourde peut remplir ce rôle.

De plus :

Ce rôle s'exerce forcément pendant le temps scolaire.
Il ne peut pas être réduit à quelques heures par semaines.
Mais il ne doit pas s'exercer au détriment du temps consacré aux études.

Donc il doit être rempli par la personne qui enseigne.

Donc cette personne sourde doit aussi être l'enseignant.

Être sourd ne suffit pas pour être capable d'enseigner mais ouvre des possibilités d'intervention irremplaçables.

2.2.2 Enseignants

Un enseignant doit remplir 4 conditions

- avoir la connaissance du domaine à enseigner (théorie),

- maîtriser les techniques permettant à l'élève d'acquérir cette connaissance (pédagogie),

- comprendre celui à qui il enseigne (avoir les mêmes références culturelles et la même perception du monde),

- posséder l'outil de communication (la langue d'enseignement).

On voit que pour les deux dernières conditions, les sourds sont les mieux armés, particulièrement auprès de jeunes élèves, qui n'ont pas encore une LS très structurée et pour qui la relation avec l'enseignant est très importante.

Pour les deux premières conditions, l'enseignant sourd devra, comme tout enseignant avoir des qualités pédagogiques et des connaissances sur les mécanismes de l'apprentissage et la maîtrise du domaine enseigné, français, LSF et autres matières.

3. Bilan

Remarque préliminaire

Pratiquement aucune classe n'a pu mettre en pratique intégralement tous ces principes dans de bonnes conditions : il a fallu innover et construire une nouvelle pédagogie, avec des enseignants pas assez formés, des moyens limités et surtout des effectifs d'élèves très insuffisants. Pendant la même période, beaucoup d'énergie a du être détournée de la pédagogie ou de l'organisation pour convaincre les administrations et parfois imposer le respect de notre droit. Très peu d'élèves ont suivi dès le début cette scolarité. Beaucoup sont arrivés en cours de scolarité après un passage plus ou moins long dans les écoles spécialisées ou en intégration. Enfin, les familles elles-mêmes n'ont pu souvent mettre en place qu'un environnement familial imparfait quant à la maîtrise des 2 langues par les parents.

On ne peut donc se baser qu'avec précaution sur les résultats obtenus pour tirer un bilan de l'apport de cette nouvelle forme de scolarité.

3.1. Identité-Intégration

Les apports de la LS sont très bénéfiques sur l'identité des enfants, l'image positive qu'ils ont d'eux-mêmes, leur bonne autonomie et leur intégration sociale.

On aurait pu craindre que les classes en LS isolent les enfants sourds en les regroupant entre eux et posent des problèmes d'intégration. C'est le contraire qui s'est produit.

3.2.Scolaire

Sur le plan scolaire, on trouve plusieurs situations correspondant à plusieurs profils d'élèves.

- Des élèves qui réussissent : bon niveau général, bonne maîtrise du français et de la LS et classe correspondant à leur âge.

Il faut signaler qu'ils obtiennent ce résultat avec une charge de travail raisonnable. Donc la scolarité en LS leur permet d'exploiter leurs capacités.
Il est évident qu'ils ne réussiraient pas dans d'aussi bonnes conditions avec un autre type de scolarité.

- Parmi les élèves qui éprouvent des difficultés, on peut distinguer :

- des élèves en difficulté en français (malgré de bonnes dispositions : bonne mémoire et bonnes connaissances mais difficulté à mémoriser l'écrit). La recherche pédagogique doit être intensifiée pour mieux leur adapter l'apprentissage du français. Cependant, ces élèves arrivent à progresser jusqu'à un certain niveau (collège) alors qu'ils seraient en grande difficulté dans une scolarité basée sur le français. Au delà du collège, le français intervient davantage (compréhension des énoncés, recherche d'information, expression écrite, prise de note, mémorisation) et une maîtrise insuffisante du français entraîne des difficultés dans toutes les matières.

- des élèves en difficulté, au lycée, par manque de culture générale et par difficulté des élèves à acquérir par eux-mêmes de nouvelles informations et donc à développer leur culture générale.

- des élèves en difficulté à cause de la mise en œuvre de l'éducation bilingue :

- cohérence difficile à assurer avec l'éducation familiale (pratique de la LSF ou du français),
- faiblesse des effectifs et donc pauvreté des échanges et des stimulations,
- pédagogie en LS devant être encore affinée, pour convenir à tous les profils d'élèves.

Les solutions passent donc par une amélioration des conditions matérielles et de la formation (des parents et des enseignants).

- des élèves en difficulté (et qui le seraient dans toute situation scolaire, comme ça se produit chez les élèves entendants).

4. Mise en œuvre

4.1 Création

Le cadre administratif et législatif.

Les textes qui régissent la composition et le fonctionnement des structures spécialisées dépendant du secteur social (annexe 24 quater du décret 88-423 du 22 avril 1988) datent de 1988 et sont donc antérieurs à la loi de janvier 1991 autorisant le choix d'éducation. Ils ont été conçus à une époque où la scolarité se faisait entièrement en français et où l'oralisation restait un des objectifs prioritaires. Ils ne sont donc pas adaptés.

La loi de 1991 (article 3 de la loi 91-73 du 18 janvier 1991) a été une ouverture pour les parents, mais elle crée aussi des ambiguïtés en parlant de " communication bilingue ", ce qui ne veut rien dire.

Les textes d'application de la loi de 1991 (décret 92-1132 du 8 octobre 1992, circulaire 93-201 du 25 mars 1993) reconnaissent eux-mêmes que sa mise en œuvre sera problématique. Ils définissent pourtant des obligations de créations de nouvelles structures " en vue de permettre au même niveau l'exercice du libre choix du mode de communication ".

 

Face à cette situation , la création de nouvelles classe ou leur extension, se font souvent à l'issue de rapports de force entre les parents et la communauté sourde et les administrations.

Même si on cherche à les intégrer dans l'Éducation Nationale, les classes nécessitent de créer des structures d'accompagnement de type SSEFIS, financées par l'Assurance Maladie. Or les CRAM s'opposent à toute création qui entraînerait des coûts supplémentaires.

L'intégration à l'Éducation Nationale pose le problème du statut des enseignants et en particulier des enseignants sourds, car l' Éducation Nationale n'a pas actuellement d'enseignants sourds titulaires. Il est donc encore nécessaire de gérer des situations dérogatoires (par exemple, l'embauche de nouveaux Maîtres Auxiliaires, le double rattachement de ces enseignants, etc…)

4.2. Fonctionnement

Le fonctionnement actuel des classes ne correspond pas toujours exactement aux principes affichés, le plus souvent par manque de moyens, humains (manque de professeurs bilingues) ou matériels (financement d'interprètes).

D'autre part l'effectif insuffisant des classes impose parfois des regroupements.

Enfin le manque de moyens empêche de décharger des enseignants pour développer les analyses, les bilans et faire progresser la recherche pédagogique.

 

5. Les obstacles

Les principaux obstacles au développement et au bon fonctionnement des classes sont :

- la non reconnaissance de la LS, ce qui bloque :
- l'enseignement de la matière LS et la possibilité de passer des examens de LS,
- la recherche pédagogique sur l'enseignement en LS et de LS

- la formation des professeurs, l'inadaptation des formations existantes et l'interdiction pour les sourds de présenter le CAPES,

- l'absence de recherche

- sur la LSF
- sur la pédagogie

- le niveau de bilinguisme insuffisant des parents et leur difficulté à trouver des formations accessibles.

- l'environnement social : peu d'accès à l'information et à la culture, ce qui est très pénalisant dans les grandes classes,

- le manque de moyens matériels et financiers accordés aux structures gestionnaires et d'une façon plus générale, le manque de reconnaissance de ces structures.

Cependant, sur la plupart de ces points, des progrès ont été réalisés et malgré ces insuffisances, les bilans de l'éducation bilingue et de la scolarité en LS sont largement positifs.


(éléments intervenus dans le débat)

ANNEXE

1. Pourquoi on ne choisit pas l'éducation bilingue

 

Bien qu'elle soit pratiquée depuis plus de 12 ans et reconnue officiellement depuis 7 ans, l'éducation bilingue est encore peu répandue. Il est donc intéressant de relever quelques-unes des raisons qui amènent à refuser une éducation bilingue.

La première raison est simplement matérielle et historique : il y a quelques années il n'y avait pas de structure bilingue et c'est encore vrai dans beaucoup de régions. De même, on peut être rebuté par leur caractère encore expérimental. Enfin par manque d'information, on peut ignorer l'existence de ces classes.

D'autre part, pendant la première période qui suit l'annonce de la surdité et alors que les parents n'ont pas encore accepté cette situation, la LS est refusée parce que justement son utilisation affirme la surdité.

Plus fondamentalement, il faut reconnaître que, de la part de parents entendants, ne pas choisir une éducation bilingue est une attitude assez naturelle qui peut s'expliquer par :

- la peur ou le refus de la surdité :
- peur de l'inconnu devant un enfant trop différent de celui qui était attendu,
- refus que l'enfant ait une identité différente.

- la peur devant cette autre langue, devant cette situation exceptionnelle où la langue de l'enfant ne serait pas celle de ses parents : peur de ne pas savoir apprendre cette langue ou refus devant l'investissement que cela représente.

- la peur des sourds

- refus de reconnaître l'existence d'une communauté sourde,
- peur de se faire "voler" son enfant par des adultes sourds forcément plus compétents en LS que les parents.

Enfin, on peut penser que l'utilisation de la LS se ferait au détriment du français ou simplement on peut vouloir tout axer sur le français (écrit et oral), en pensant que cela permettra une meilleur scolarité ou une intégration plus facile.

 

2. Bilan de l'éducation bilingue par rapport à ces craintes

- refus que l'enfant ait une identité différente

Une éducation oraliste ne rend pas l'enfant entendant. Au contraire on a montré que l'utilisation précoce de la LS contribuait fortement à l'acceptation de l'enfant sourd.

- peur de la LS

La crainte des parents d'être incompétents disparaîtrait si :

- LS était présentée et enseignée très tôt avant le développement du langage, ce qui repose le problème de l'information au moment du dépistage

- la LS pouvait être apprise plus facilement :

- gratuité des cours
- qualité de l'enseignement, ce qui suppose le développement de la recherche sur la LS et sa pédagogie et la formation des enseignants.

Il est vrai que c'est un choix qui implique non seulement les parents mais aussi toute la famille qui n'est peut-être pas prête à un tel investissement, pour apprendre la LS mais aussi pour la pratiquer au quotidien. Il y a là un équilibre à trouver dans chaque famille.

- peur de se faire voler son enfant

Au contraire, dans l'éducation bilingue, on redevient vraiment parent, sans être spécialiste de la rééducation ou de la scolarité. La qualité des relations et de la communication renforcent le lien parent-enfant.

- crainte sur la précarité des structures

Elle est peut-être justifiée mais pourrait disparaître si les parents affirmaient davantage leurs droits et exigeaient :
- la formation des enseignants sourds,
- le soutien aux structures bilingues existantes.

- crainte pour l'intégration

Les enfants de 15 ans déjà bien intégrés : qu'est-ce qui ferait qu'ils ne le seraient plus a 25 ans ?
Si des améliorations sont à apporter, elles seront obtenues par :
- une meilleure information du public, sur la surdité,
- des actions pour que la société prévoie la participation des sourds : interprètes, accessibilité de l'information,…
- la création de Centres Ressources et de lieux de vie de la LSF.

 

 


1- A. MEYNARD " Laisser les mains prendre parole " stage ANPES juillet 96, disponible sur demande à l'ANPES

2- voir l'annexe " pourquoi on ne choisit pas l'éducation bilingue "

3- A. MEYNARD : interview " L' œil et la main " - 6 mai 1995 - voir aussi " Quand les mains prennent la parole " éditions Érès

4- D. BOUVET " La parole de l'enfant " PUF


retour

sommaire